lundi 24 octobre 2011

Xtrail Mont Orford 2011

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La course où tu cours aussi avec les bras
15 octobre 2011
Lutins du Mont Orford
J’avais plusieurs autres idées de titres : «La course où tu en cours trois», «La course qui glisse», «La course en sentier pas-de-sentiers», «La course qui mooooooonte et qui descend», «La course qui est sale», etc. Et aussi : «La course qui change de la course». Car c’était un baptême, le premier trail de toute ma vie. J’ai le néant pour point de comparaison, mais les échos qui résonnent dans le grand vide de mon inexpérience laissent penser que c’était un baptême de feu. Ça se pourrait bien.

Je me suis inscrite tôt à ce trail, en avril. Je ne me rappelle plus d’où je tenais que ce machin existait, aucun souvenir. Une note sur Dailymile peut-être ? Bref, en faisant ma petite enquête, j’ai vu qu’il y avait un service de garderie offert pendant la course. Quelle merveille, on allait enfin pouvoir courir ensemble avec Chéri et partager une expérience inoubliable dans l’effort et la beauté. En fait d’effort, c’était plutôt le faire tranquillement qu’on visait. Las ! Chéri a déclaré forfait une semaine avant l’événement. Trop fatigué. Pas assez entraîné. Je n’ai pas insisté. Et j’ai trouvé un plan B en la personne de Pascale, une chère copine de course qui à ma grande joie s’est trouvée d’accord de se lancer sur les sentiers.

Pascale connaît bien la région d’Orford, mais pour le trail cest comme moi : nada, rien pantoute, que dalle. Une belle bande d’innocentes, la fleur entre les dents pour aller se jeter dans la boue et les cailloux. On a passé la semaine à penser à la course, surexcitées, heureuses. Et tout à coup un peu inquiètes, après avoir regardé une vidéo gore de l’édition 2010. La veille du trail. Juste avant le dodo. Pas malin.
La course où tu cours pas
Jour J. Pascale et son copain passent me prendre à la maison à 6 h 30, on embarque le stock de vêtements, de chaussures et de nourriture dans la voiture. Le ciel est maussade, le ciel pleut, mais le café est chaud et la musique est bonne. Et on s’en va jouer dans la boue, youpi !
Arrivée à la station de ski d’où part et revient la course, au cœur du parc national du Mont-Orford. Du monde mais rien d’oppressant, l’ambiance est sereine, les gens sont agréables. On se trouve un coin tranquille pour se préparer. On se décide pour la tenue, on se change, je fais quarante-cinq fois pipi, Pascale enfile ses immenses chaussettes noires de foot/soccer et je me sens moins seule avec mes immenses chaussettes blanches, on accroche notre puce (merci JP), nos ceintures d’hydratation, on fait le plein de glucoseries. On est parées.
On va voir ce qui se passe du côté des départs. Il pleut des cordes. Le 10 km est sous eau. Dans un quart d’heure ce sera notre tour. Trop froid pour rester dehors, on s’échauffe dans le sous-sol de l’immense chalet. Je ne sais pas ce qui me réchauffe le plus, trottiner entre les racks de ski ou rire de trottiner entre les racks de ski. Mais, un peu de sérieux, c’est l’heure.
Joie, il ne pleut plus. Surprise, Sylvie, une copine de course nous salue depuis le public. Ça fait toujours plaisir les joyeux bonjours. On est sans doute un peu nerveuses mais moins que pour une course sur route. Partir sans attentes, sans chrono, sans allures à tenir, c’est assez confortable. On reçoit les consignes pour la course, transporter son ravitaillement (obligatoire), ne pas quitter les sentiers balisés pour ne pas abîmer le fragile environnement, savoir que le circuit se découpe en plusieurs types de chemin, qu’il y aura des zones boueuses, etc. On acquiesce. On part. Je ne sais pas où on part, mais on y va.

Maintenant je sais.

Il y a des bouts qui m’échappent, mais en gros c’est ça. Comme je l’ai dit ailleurs, le Xtrail c’est une course trois-en-un avec : un cross-country, une escalade et une dégringolade.
①_Le cross-country (± 11 km et 58 minutes)
[Insérer ici : gazouillis, clapotis cristallin, froissements de tapis de feuilles, son mat de chemin boisé martelé par les pas, odeur d’humus.]
Ça, c’est la partie comme-dans-un-rêve. Mon trail imaginaire, il est comme ça, à travers bois, sur des chemins en tapis de feuilles, avec de la boue, quelques obstacles à sauter, des pentes à négocier et des côtes à se soumettre. Courir dans les bois, sauter dans les flaques, prendre son élan, déraper mais ne pas tomber, se faufiler partout, profiter d’une ces parenthèses enfantines (animales ?) que la course à pied parvient à nous ouvrir. Dans l’automne de l’Estrie, roux, rouge et vert, et dans la lumière qui suit la pluie, j’en aurais bien pris 21 km.
La course commence par une butte herbeuse à monter et à redescendre aussi vite, on vire dans la forêt. Je perds Pascale assez vite, difficile de se retrouver parmi les coureurs qui déboulent. On traverse des ponts de bois gluant, il y a bien des pierres à moitié enterrées peu visibles et assez traîtres et deux (?) côtes assez raides, mais rien de trop compliqué.
Je cours dans un rêve, vous dis-je.
Le deuxième ravitaillement apparaît, c’est signe qu’on va entrer sur le sentier dit des Crêtes. C’est signe que ça va se corser.

②_
L’escalade (± 8,5 km et 1 h 40)
[Insérer ici : écho métallique de la pierre qui roule, f*** du trailer qui tombe, succion de la chaussure avalée par la vase, gargouillement de la chaussure qui sort de la vase, bruit baveux de la chaussure qui s’éponge, clapotis, sifflement du vent, silence, vertige, recueillement.]
En effet, ça se corse. Si bien que je ne me souviens pas de grand-chose, trop occupée à trouver où poser le pied et à donner des corvées à mes bras pour qu’ils m’aident à m’arracher à la gravité (je comprends à présent l’utilité des bâtons de randonnée) ou à me rendre mon équilibre. C’est beau, enfin le sol est beau. Je ne vois que ça. Des rochers de toutes les tailles, des racines, des trous de boue, des fanions roses fluo et des traits de peinture rouge et blanche (le balisage). Sauf à deux ou trois endroits, sur un tablier minéral balayé par les vents, le vide est à quelques pas et, au fond du vide, le lac et de vastes forêts. Le soleil dore la vue, les feuilles sont en feu et je suis seule sur mon grand caillou. Dans le silence. Je m’arrête pour admirer. J’ai failli ne pas m’arrêter, parce que c’est une course et que dans une course on court. Les vieux réflexes. Je repars. J’essaie de ne pas chuter dans les descentes. Succès mitigé (deux chutes).
831 m, le sommet de la bonne humeur
Par moment, je suis complètement seule sur le sentier – si on peut parler de sentier. C’est rare, la solitude. Parfois je suis seule mais j’entends les coureurs, devant, derrière, sans les voir. Parfois j’ai des compagnons. Souvent je me tasse pour les laisser passer. Je reconnais certains de ceux que j’ai allègrement dépassés dans la première partie. J’ai tout à apprendre.
Bon, c’est pas que je m’ennuie dans la forêt mais y en a marre des rochers gluants. Ma claque de déraper. Satanées chaussures*. Satanés cailloux. J’ai envie de courir toute jambe dehors, juste pour me les défatiguer. Ah ! une volontaire plantée sur un rocher (ils étaient quelques-uns bravement postés sur le parcours, merci à eux), elle encourage les coureurs en leur certifiant que la fin du sentier est toute proche. Je lui demande s’il y aura encore des rochers, elle me répond que non, après ça se fait bien. Je m’en réjouis. De fait, on sort bientôt du bois et… je ris. Elle n’a vraiment pas menti, le chemin est tout à coup absolument dégagé. Mais la pente est raide. Tellement raide. J’ai cru qu’il me faudrait me mettre à quatre pattes pour la grimper. Elle longe la quincaillerie du télésiège. Nous sommes sur des pistes de ski alpin, pas étonnant que la pente soit raide. Reverse-schuss. Fin de la côte, virage, bout courable, je papote avec un compagnon d’infortune, re-côte raide, m’enfin ! Des spectateurs, c’est bon signe, « lâchez pas, vous êtes presque au sommet ». Mouais, on dit ça, encore des blagues. Non, ça y est, victoire ! le sommet du mont. Que dis-je : le sommet de la montagne. Et de l’eau ! Rhaaaa, de l’eau. Visage connu, le copain de Pascale est là, il se gèle au sommet depuis un bon bout de temps, le pauvre. On rigole de tous les verres d’eau que j’afonne en soiffarde. Je m’essuie la bouche d’un revers de manche et je reprends la route, direction tout en bas. Attachez vos ceintures.

*Des Minimus Trail MT10. Je continue de douter d’avoir fait le bon choix, même si tout le monde a trouvé le sentier très glissant.


③_
La dégringolade (± 3,5 km et 17 minutes)
[Insérer ici : aaaaaaaah, ouille, sprouitch sprouitch, f***.] 

La course qui est sale
Que dire ? Ce que vous avez mis 8 km à monter, vous mettrez 3 km à le descendre. Que dire de plus. Tout est dit. D’abord, un sentier de gravillon ultra raide qui n’en finit pas, en fait un bout de la piste de ski dite du 4 km, mais que nous quittons bien avant la fin. Là j’essaie la technique du slalom micro twisté pour contrer l’appel de la gravité en épargnant les genoux et tout le reste. Ensuite un sentier de tourbe, de la boue qui glisse, une côte (encore), de la boue en bain (long dérapage, atterrissage, troisième chute, la plus amusante). Et, enfin visible, l’arrivée, elle est toute proche, au bout de ce chemin raide et semé de cailloux. Fin de la descente infernale et quelques mètres de plat, j’en aurais aimé mille et m’y dégourdir les jambes. J’entends Sylvie et ses amis crier mon nom et puis le speaker, qui a assez d’endurance pour nommer tous les arrivants.
2 h 55:52 à ma montre. Le plus long semi-marathon de toute ma vie.
Je suis sale, j’ai soif, je bois, je mets de la boue dans mon gobelet, je bois la boue de mon gobelet, j’ai soif, j’ai soif, j’ai soif. Je suis contente d’être arrivée. Quand j’y repense, c’était fou de se lancer là-dedans. J’espère que Pascale ne me maudit pas de l’avoir entrainée. Elle a beau avoir moralement signé une décharge à ce sujet, j’ai hâte de la retrouver, de savoir si tout va bien et si elle a apprécié la course autant que moi.

④_
Le décrottage et le bichonnage
[Insérer ici : un soupir.]
Et pour finir, après avoir retrouvé Pascale et son amoureux : décrottage sommaire dans le lavabo (non, pas de douche, c’est Xtrême jusqu’au bout), dévalisage du buffet santé offert aux coureurs (pas mauvais du tout), avalage d’une petite bière (absolument délicieuse), goûtage des muffins de Pascale (paradisiaque), écoutage des podiums, affalage dans la voiture. Dodo.

Pour conclure :
- Chéri a bien fait de renoncer, je m’en serais voulue de l’avoir embarqué là-dedans en l’état. Mais avec un peu d’entraînement en course à pied, c’est très faisable. La partie courable ne fait qu’une dizaine de kilomètres, le reste c’est de la randonnée / du hiking / du trekking, appelez-ça comme vous voulez.
- La grimpette, ça donne des courbatures. À j+4, les quadriceps continuaient de me remonter les bretelles.
- J’ai une irrépressible envie de course en forêt, de grand air et de sol organique. Je ne peux plus voir un caillou. 
Et bien sûr, vous voulez connaître les résultats :
Temps
: 2 heures 55 et 59 minutes
Classement général : 93/221
Classement féminin : 8/45
Classement dans la catégorie : 3/21
Distance non officielle (mon gps) : 22,9 km

7 commentaires:

  1. BRavo Delphine ,j'ai fait le 11 km etc 'était pas facile aussi..!

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  2. Ca avait quand même l'air bien fun de le lire comme cela ! Probable que ce soit la boue qui ait un peu gâché la fête. Mais je suis comme toi: j'aime avant tout courir. Un peu de grimpette et de descente me conviennent mais il faut aussi pouvoir se dégourdir les jambes entre deux ! J-F

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  3. Je te remercie car en te lisant, j'ai la confirmation que je ne suis pas un coureur de trail. Je ne vois pas ce qu'il y a d'agréable dans une telle course. Mais pour toi, 8ième femme, c'est fort. Bravo.

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  4. Merci du récit Delphine! Je te l'avais dit pour les souliers mouhehehe!
    Au contraire de Luc, ça me confirme que je préfère me donner de la misère en trail que de m'endormir sur le bitume ;)

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  5. Je revis l'excitation à te lire. Beau récit.

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  6. Pas la peine de le faire, tellement ton récit est plaisant et qu'il nous le fait vivre façon Xtrême. Je ne puis même rêver une telle aventure, mais j'aimerais bien aller me tenir sur un rocher pour applaudir ceux qui en ont le courage. Mais comme tu dis, vaut mieux ne pas trop savoir dans quelle galère on s'embarque...

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  7. @Pierre: Il me semble avoir lu que le 11k était plus dur (plus raide). Bravo à toi!

    @Jeff: La boue, miam, j'aime bien, c'est culturel. (Pas toi?) Les sentiers-pas d'allure, je suis comme toi: j'aime qu'il y ait de vrais temps de course. C'était plus comme ça ton trail?

    @Luc: Ce n'était pas l'effet recherché, gloups. Dison, que c'est une autre forme de plaisir. Ou de souffrance. La frontière est parfois si mince.

    @Alexandre: J'espère que c'est moins salissant à l'écrit quand même.

    @Julie: Rappelle-moi de t'écouter la prochaine fois. :-) Tu dors vraiment en courant? Moi aussi, ça arrive. zzzzz.

    @Sonia: Mais pourquoi pas? Il y a juste 11km de course, le reste c'est de la rando musclée. Fais-toi plaisir. Ou mal. La frontière est parfois si mince. (Bis.)

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