mercredi 29 juin 2011

Transbaie 2011

La course pour les gamins
26 juin 2011 

Dimanche au réveil, une épaisse brume (la même que la veille) recouvre Saint-Valéry, Baie-de-Somme, là où les phoques pêchent le mulet à la nuit tombante et où des coureurs, une fois l’an, décident que le chemin le plus court entre deux points est la droite, tant pis si sur le chemin il y a la mer : Saint-Valéry Le Crotoy, en avant toute.

Hier
on distinguait à peine le Crotoy qui fait face à Saint-Valéry, avec juste un peu d’eau au milieu (un mélange de Somme et de mer). Ce matin, c’est pareil, le Crotoy reste une ville fantomatique. Pourtant la météo s’obstine à annoncer 30 degrés et un soleil éclatant. Une fois de plus, on se moque de nous. La perspective de gagner le Crotoy par une longue et froide droite mouillée ne nous sourit guère. Maman et moi avons la mine basse.
Au loin, le Crotoy
Las, nous enfilons un polar et partons digérer notre petit déjeuner estampillé NF (Norme française) : 500 g de croissant pur beurre, demi-baguette, yaourt, café en bol d’un litre. 

La course devrait partir vers 14h30, si la mer le veut bien, nous avons bien le temps d’aller flâner sur le marché. On y trouve beaucoup de spécialités locales, parmi lesquelles la marinière. C’était chouette les filles du bord de mer, tsoin, tsoin, elles portaient toutes des marinières. Les filles, je ne sais pas ; les touristes oui. Je ne vous parle pas casserole de moules, là, je vous cause chiffons. Et, que voulez-vous, j’ai été happée par l’appel des embruns dont la brume était faite. Oui, merci, ce ciré esprit caban me protégera parfaitement des déluges montréalais (automne et printemps) et cette écharpe en laine de marin qui gratte saura avec élégance me garder du frette québécois (de novembre à avril). Vraiment, ces pièces manquaient à ma garde-robe, comment ai-je survécu à deux années canadiennes sans elles ? Pur coup de chance assurément.

Du marché nous ramenons encore deux raviers de fraises locales fort odorantes, pardon, deux barquettes, et regardons en pleurant les gâteaux, saucissons, galettes et fromages qui nous sont interdits. Mais notre vengeance sera terrible, je salive déjà à la pensée de la casserole de moules (marinières elles aussi) que je compte m’enfiler pour le souper. Également trouvé sur le marché, un couple d’amis du club d’athlétisme. Victor court lui aussi, Dominique accompagne. On en croise des coureurs en goguette, certains ont déjà leur dossard épinglé sur le ventre. Tiens, tiens, vous avez vu ? On a quitté nos vestes. Pfiou, il fait chaud tout compte fait et le Crotoy est à présent moins spectral. C’est donc par là que nous irons en courant. Nom d’un veau de mer, au milieu il y a toujours une étendue d’eau. Ah ! le mystère des marées. 11h30, il est temps de se retapisser l’estomac. Tasse-toi le croissant, les pâtes bolo arrivent  Menu spécial Transbaie dans les restaurants du coin. Ce sera sauce bolognaise aux pâtes et un quart de tarte fraise-rhubarbe avec de la chantilly. Le chef cuistot n’a pas dû souvent courir dans sa vie. M’en fiche, c’est délicieux tout ça. On a dit qu’on était là pour s’amuser, non ? Dont acte.


Retour au gîte, on se met en tenue de combat. Nos tenues ont été soigneusement étudiées pour minimiser les pertes. Comprendre: que vos vêtements deviennent par la machine à laver une cause perdue ne vous tire aucune larme. Maman regrettera-t-elle ce cycliste (1992), ce singlet (1989) et ces chaussettes Décathlon rendues grises par les lavages (2009, 10 euros les 3 paires) ? Certes non. Je n’avais pas d’aussi vieilles étoffes à sacrifier (trop jeune en carrière), j’ai donc opté pour le moins top du top. Plus délicat : le choix des chaussures. Pas question d'assassiner mes Mizuno qui ont encore de beaux jours devant elles et mes pires chaussures sont restées à Montréal et puis elles sont tellement pires que je ne veux plus jamais les porter, pouah. La solution ? J’ignore si c’est l’idée du siècle mais je choisis de copier un trailer qui a fait la course en 2010 en Vibram Five Finger, lesquelles mattendent dans un placard depuis des mois. Modèle difficile à enfiler donc difficile à ôter, tel est mon raisonnement. Car en plus d’être malodorant, le sol de la baie reste par endroit immergé et par endroit suffisamment fangeux pour au mieux irrémédiablement crotter vos chaussures, au pire les avaler. De plus les VFF résistent très bien à la machine à laver, ce qui n’est pas forcément le cas des chaussures normales. Horreur, le velcro d’une boucle est décousu. Bah, je rafistole comme je peux, les chaussons serrent tellement que je ne suis pas sûre de l’utilité des dits velcro. Ce que je crains le plus, c’est de perdre la boucle dans la baie et que la baie en soit à jamais souillée. Ah oui, dernier détail d’équipement, après beaucoup d’hésitation, je laisse ma fidèle Garmin au vestiaire. Je crains bien trop qu’elle périsse dans l’aventure. Tant pis pour les enregistrements, tant mieux pour l’amusement (je ne me rappelle pas la dernière fois où j’ai couru sans montre). En outre il suffit d’aller sur Garmin Connect pour retrouver les enregistrements des téméraires partis (et revenus) avec leurs montres. On y constate d’ailleurs que le parcours est plus proche des 17km que des 15 annoncés. 

Un homard géant
Un curé sportif
Nous quittons le gîte pour nous rendre au départ, il suffit de se fondre dans la colonne colorée pour trouver son chemin. La couleur, ce sont surtout les coureurs déguisés qui la donnent, la fête promet. Infirmières aguicheuses en perruque rose, soubrettes en mini-robe, ces messieurs rivalisent d’originalité. On rencontre aussi des schtroumpfs encordés, des indiens d’Amérique, un homard géant, des euh... des machinchoses, des baigneurs avec leurs canards gonflables, des hawaïens, un curé en soutane, un pikachu, etc. Le soleil est de plomb, ces coureurs ont un courage certain. On peut aussi arriver au départ en train à vapeur. C’est chou. Nous préférons arriver par la ville. Dans les rues tortueuses, les obstacles sont enrobés de bottes de paille. Nous courrons donc dans ces rues, mon cher Watson. Ça aussi ça promet. Certains coureurs ont arrimé leurs chaussettes à leurs chaussures avec du collant à large bande, des habitués je suppose. D’autres ont noué leurs lacets autour de leurs chevilles. Ça promet, ça promet.


Les schtroumpfs (Photo volée au Courrier picard)
--> L’heure du départ approche, nous sommes dans la foule compacte. On cause un peu chaussures, ça va de soi. Je ne veux pas jouer les ambassadrices (les doigts d’une main et demie doivent suffire pour compter le nombre de mes sorties en VFF), mais j’y suis un peu forcée (Oui, oui, c’est confortable. Ah non, il faut y aller progressivement. Non, ça ne fait pas mal sur les cailloux. Non je n’ai pas peur de les perdre). C’est ma foi sympathique. Le hasard veut qu’on retrouve un autre coureur louviérois, là, dans la foule. Les schtroumpfs assurent l’ambiance en déambulant dans la masse à la queue-leu-leu. Le speaker demande à la foule de manifester sa joie, applaudissements et olas. Le train à vapeur siffle, tchou, tchou, c’est le signe du départ. Pas vers la baie, pas tout de suite, on fait d’abord un petit tour en ville, 4 km avant de toucher le sable.
Juste avant la libération
Plus de 5 000 coureurs à faire démarrer, disons qu’on marche un petit moment, puis on courotte, puis on court un peu en slalomant, puis on marche parce qu’il y a un goulot d’étranglement, puis on est sur la digue, puis on voit le sable, une pente sèche nous pousse dans la baie, ce grand espace où on va pouvoir courir, plonger dans l’eau et sauter dans la boue. Libération ! Près d’une demi-heure pour parcourir 4 simples kilomètres, un bon petit échauffement, certes, mais là on veut de l’espace et gigoter des jambes. Hi ha ! Je suis d’autant plus contente de quitter la digue que les Vibram ne font pas le poids contre les mesquins cailloux à moitié enterrés sur 300 mètres de long. Je n’ai pas les petons encore assez tannés pour ce genre de cavalcade. 

Cette vaste étendue ! On croirait courir sur une plage géante. Autour de nous, des spectateurs en maillot de bain et des enfants avec leurs jeux de plage. L’air est doré, le ciel est bleu, des taches de couleur traversent la plaine sableuse. Au loin, au très loin, la colonne colorée serpente, et derrière moi il y a sans doute au moins autant de coureurs. Impressionnant. Les premiers obstacles arrivent rapidement, des fosses d’une boue noirâtre terriblement glissante et lourde qui sent le crustacé. On a vite fait de tomber à genoux dedans, j’ai les mains noires et poisseuses, un prochain trou d’eau permettra une toilette sommaire. Je me félicite du choix des chaussures, les kilos de boue que je ne dois pas transporter au bout des pieds, les chaussettes mouillées qui ne tire-bouchonnent pas sous mes orteils. Certains passages sont en sable dur et, hop, sans crier gare, une crevasse se présente, elle aussi remplie de fange. On peut, selon la largeur de la crevasse, l’élan dont on dispose, le ressort des jambes, l’état de fatigue ou simplement l’humeur, sauter par-dessus ou descendre dedans, sur les fesses, les pieds, le ventre. La technique est au choix de l’usager. Par moment, on court en bordure de pré-salé, là où paissent les moutons AOC. Pour le coup, les moutons étaient loin, il faut les comprendres. Ces prés sont couverts de végétaux dont une petite plante rustique aux feuilles arrondies qui forme entre mes orteils de délicats bouquets. Les crevasses cèdent parfois la place aux bras de petites rivières qu’il faut traverser, l’eau vient jusqu’à la moitié des cuisses. Parfois encore on court sur une pellicule d’eau. L’eau va de tiède à chaude, c’est toujours rafraîchissant. On avance vers le Crotoy, où on fera demi-tour pour revenir à Saint-Valéry et où seront également servis quelques rafraîchissements. Bien avant d’atteindre le Crotoy, arrivent les premiers qui sont déjà sur le retour. Au compte-goutte d’abord, leur avance est si grande. (La course est primée, l’élite aussi se rend à la Transbaie, pas seulement les rigolos comme nous.) Le premier finira en 57:47, la première en 1h06:48. Je m’amuse bien, le spectacle est partout, sous nos pas, sous nos yeux. 

Arrivée au Crotoy, on rentre dans la ville côté plage. Ravitaillement, petit tour dans les rues, ça monte et ça descend, ça délie les jambes de courir sans entraves. Retour dans le sable, direction Saint-valéry. Tout droit, le chemin le plus court entre deux points. Cette fois je regarde ceux qui sont encore dans l’aller de l’aller-retour, je cherche maman et Victor. Ils sont là, youhou ! on agite les bras. Le retour est beaucoup plus facile que l’aller, plus direct aussi, beaucoup moins de crevasses, de glissades et de petites rivières. On peut courir à un rythme plus régulier et plus soutenu. Je dépasse beaucoup de gens qui n’ont plus de jus, certains prennent le parti de marcher, d’autres de se rafraîchir dans une piscine (un cratère rempli d’eau fait leur affaire). L’hélicoptère des secouristes qui surveille la course nous fait de l’air, il interviendra sous peu pour aider une jeune fille qui s’est trouvée mal.
Des copines de la ligne de départ
(Photo volée au Courrier picard
La rumeur remplie de cette information passe de coureur en spectateur et me touche au passage. Le raidillon pour sortir de la baie et regagner la digue est là, praticable (il y a eu des années bien plus boueuses où la montée s’obstinait à rester une descente). Quelques dames en ligne de mire, autant d’ennemies à abattre, j’essaie de les rattraper méthodiquement, une à la fois. Les cailloux de la digue sont provisoirement mes plus grands ennemis. Héhéhé, fin des cailloux, il reste quelque chose comme 300 mètres, poussez-vous, j’arrive ! Un sprint mémorable me met au coude-à-coude avec une fille que j’avais dépassée 300 mètres plus tôt, aaargh, un type sur mon passage supersonique, ou je le contourne ou je l’écrase, je ne gagnerais pas de temps à l’écraser, je fais un petit crochet, aaargh, un mètre encore et je l’avais ! On rigole à l’arrivée, bien amusant ce sprint idiot. Le speaker nous tend son micro. Un sprint pareil et le sourire, vous n’êtes pas fatiguées hein mesdames ? Ben non en fait, pas trop. Et comment vous vous appelez et vous venez d’où ? De Belgique et du Canada ! Oui, mais, euh, monsieur, c’est la fille là-bas qui a gagné le sprint. Et vous venez d’où, vous ? Du Val-d’Oise ! Avouez que c’est une peu ordinaire à côté de la Belgique et du Canada, non ! Héhéhé, qui c’est qui a gagné finalement ?

1h34:51, 711e sur 5210, les pieds chauds, les mains noires, le short trempé, les jambes grises et les épaules brûlées, j’ai couru la course la plus amusante de ma vie. Juste de l’amusement. Merci papa et merci maman de m’avoir amenée là. Ça ne m’étonne pas du tout que mon père ait tant aimé ça en 2008, je l’imagine tellement sauter dans la boue et sourire avec les pieds. Je suis déçue de ne pas avoir dû essayer le décrassage par arrosage agricole. Édition trop propre. J’espère que j’aurai l’occasion de remettre ça, mais...

Un homme sale
Une demi-heure plus tard, maman et Victor arrivent. Maman a eu un peu de mal, depuis fin mars elle court à peine une ou deux fois par semaine. Elle est venue à la Transbaie pour moi, m’avouera-t-elle, parce que rien ne dit que l’occasion se représentera de sitôt. En effet, je ne suis pas du coin et la course à parfois lieu en avril, loin des vacances d’été, selon le bon vouloir des marées.
La suite ce sera douche (vraie douche chaude), casserole de moules de Bouchot, fondant tiède au chocolat, promenade le long de la Somme, bière, dodo. Re-déjeuner NF, promenade en bord de mer et tour en camion (une petite panne sur l’autoroute). Reste à faire la lessive.

__________________________
Le site de la Transbaie 
Une vidéo
Lire dans la presse locale

10 commentaires:

  1. C'est donc bien drôle cette course ! Que du plaisir, j'adore.

    RépondreSupprimer
  2. Oh oui, si tu en as l'occasion, n'hésite pas!

    RépondreSupprimer
  3. La crevasse... tu en ressors comment? Pourquoi le X rouge sur le herisson? Douce folie!!!!

    RépondreSupprimer
  4. Avec une petite échelle! Les coureurs dépourvus d'échelle (soit 100% des coureurs) ont fait montre de créativité et parfois de ténacité. J'ai rajouté un lien vers une vidéo en fin de post, ça te donnera une idée.

    Pour le hérisson sur le bunker, aucune idée. C'est le logo de "Picardie Nature" (http://www.picardie-nature.org/). Sans doute des activistes qui n'aiment pas Picardie Nature ou les hérissons.

    RépondreSupprimer
  5. Hahaha! Je m'imaginais quelque chose de vraiment plus profond mais avec à peu près cette texture! C'est vraiment ludique comme course!

    RépondreSupprimer
  6. Rigolo à souhait (le récit et l'aventure en soi)!!!!!!!!!!!!! J'adore ce genre de chose!!!!

    RépondreSupprimer
  7. Super intéressant le récit. Ça semble effectivement être une course assez particulère.

    RépondreSupprimer
  8. Mazette, quel sourire ! Pas besoin d'en écrire plus même si tu le fais très bien. Faut que je le fasse un de ces quatres ! J-F

    RépondreSupprimer
  9. bonjour,
    je suis a la recherche de joli blockhaus dans la baie de somme pour faire des photographies…
    …Pourriez vous m'indiquer précisement (dans la mesure du possible biensur) ou se trouve celui-ci ?
    d'avance merci !

    p.s : vous pouvez me repondre par mail si vous souhaitez : jolipunk@hotmail.com

    RépondreSupprimer
  10. Bonjour Nic,

    Il est à la pointe du Hourdel. Et, effectivement, il est très beau. Voilà deux sites où il est localisé: http://www.recoin.fr/tourisme/petit+port+du+hourdel.htm et http://www.bunkerpictures.nl/datasheets/france/somme/datasheet-le%20hourdel.html
    J'ai fait ma curieuse et j'ai trouvé votre blog de photos: superbes.

    RépondreSupprimer

Chic, un commentaire ! Ne soyez pas timides, ne restez pas anonymes.